Abee       EH4 

Alberta, Canada

Chute le 9 juin 1952 à 23 h 05

TKW 107 kg.

 

Deux aspects de la lame mince en lumière polarisée croisée (LPA).

Peu spectaculaire… La matrice et les écailles de métal prédominent (noires en LPA).

 

Deux vues de la même plage:  
La première en lumière réfléchie,  
la seconde en lumière polarisée croisée (LPA).  
Les écailles de métal se distinguent par leur éclat (lumière réfléchie).  
Le claste central semble enveloppé de métal.

 

Même comparaison.

 

Généralités sur Abee :

 

ABEE, météorite de type enstatite, (EH4 brèche d'impact fondue anormale)
Chute observée le 9 juin 1952 à 80 km au nord d'Edmonton, Alberta, Canada. 5 jours plus tard on a retrouvé une masse de 107 kg dans un champ de blé (trou de 2 m de profondeur sur 0,75 m de largeur, incliné de 65° par rapport à l'horizontale).
Abee est l'une des plus étranges et énigmatiques météorites connues. Cette chondrite à enstatite est aussi la plus grosse connue(*).
Contrairement à la plupart des météorites, elle contient des minéraux très étranges, avec défaut (ou perte?) d'oxygène, qui serait substitué par le soufre. Les cassures fraîches dégagent une odeur de "poudre", comme quand on broie du soufre, ce qui témoigne de la haute teneur de cet élément dans la météorite.
Ce déficit relatif en O se traduit par la présence accrue de métal et de sulfures (essentiellement sous forme de troilite, FeS), par rapport aux autres enstatites. Ce sont donc des roches très réduites (le fer et le soufre y sont à leur degré d'oxydation minimum, à savoir Fe° (métal) ou Fe2+ (troilite), et S2- (sulfures) dont l'assemblage est dominé par l'enstatite, un clinopyroxene riche en Mg. Les enstatites représentent moins de 1,4 % des météorites connues.
L'enstatite est un silicate de Mg, MgSiO3, relativement plus rare que la forsterite Mg2SiO4, la variété de l'olivine riche en Mg. Comme sur terre, par exemple dans les roches basaltiques, ces silicates se forment par réaction entre on oxyde à caractère basique, MgO, et un anhydride d'acide, SiO2 (silice). L'enstatite, moins riche en Mg que la forsterite mais aussi moins stable, cristallise logiquement dans les roches (terrestres ou météoritiques) plus riches en silice, ce qui est moins commun dans la nature. Vu les températures et surtout les grandes pressions subies par les météorites au cours de leur histoire mouvementée, la silice qui a généré l'enstatite par réaction avec MgO (réaction de type acide-base), y existait essentiellement sous forme de tridymite et cristobalite, très rarement en tant que quartz, variété de silice prédominante sur terre. Le fait que les enstatites soient les seules météorites qui contiennent aussi des traces de quartz, augure de leur paragenèse assez spéciale.
Le métal, essentiellement sous forme de kamacite (alliage pauvre en Ni) peut attendre 23%, tandis que les sulfures de Fe (pratiquement sans Ni) complètent les 33% de metal présents dans les enstatites de type H ("high iron content").
Les EH étaient, il y a peu, les météorite les plus riches en métal, avant qu'on n'identifie un nouveau groupe de chondrites carbonées, encore plus riche en métal, à savoir la classe CH et CB (bencubbinites) dont GUJBA en est, sans doute, le représentant le plus spectaculaire.
Durant leur formation, les roches constituantes des enstatites ont également généré des minéraux aussi étranges que la sinoite (Si2N2O), la perryite (Ni,Fe)5(Si,P)2 ou la djerfisherite (K3CuFe12S14). On remarquera que la sinoite n'est autre chose qu'une silice dans laquelle l'oxygène (sous forme d'oxyde O2-) a été partiellement remplacé par l'azote (sous forme de nitrure, N3-). De même, la perryite est un siliciure et un phosphure, où Si et P sont a un degré extrêmement réduit, stable seulement en absence d'oxygène (l'oxygène aurait immédiatement oxydé ces éléments en sulfate et phosphate, comme sur terre). On déduit de tout cela que, lors de leur formation dans la nébuleuse solaire, il y a 4,49 Ga, les enstatites se trouvaient dans une zone inconnue pauvre en oxygène et probablement riche en azote (présence de sinoite), ce qui installe un doute quant à l'origine classiquement astéroïdienne des enstatites de type Abee.
Les clastes de cette brèche sont aussi bordés d'une croûte de métal. L'aspect de la lame mince est anormalement noir (par rapport à d'autres lames). Cette brèche noire est composée d'inclusions sombres et de clastes anguleux sertis dans une matrice noire.
Abee est donc une brèche d'impact fondue anormale. Sa structure interne est constituée, comme dans les autres enstatites de type EH, d'une myriade de grains de métal bordés mais c'est la seule qui contient, en plus, de clastes métalliques de taille variable noyés dans une matrice grise, finement grenue, donc opaque en lumière polarisée croisée. 
Cette structure de brèche est le reflet d'une séquence d'impacts violents et complexes, impliquant la formation de gros clastes angulaires d'un matériau partiellement fondu avec des inclusions ignées riches en oldhamite (CaS), le tout noyé dans une masse similaire, mais auparavant fondue.
Cette texture si particulière de la météorite d'Abee suggère que son corps parent a subi plusieurs gros impacts, lors desquels la plupart des chondres ont été fondus et qu'une brèche en a résultée avec des clastes de diverses natures.
Des études spectrales situent néanmoins les corps parents des météorites EH dans la ceinture interne des astéroïdes. Ces études donnent des résultats similaires pour Abee. On évoque même l'astéroïde Hebe comme source des chondrites ordinaires EH, groupe qui reste très rare (on n'a répertorié qu'une douzaine de météorites de type EH, hors Antactique).
Cependant, cette minéralogie pauvre en oxygène reste extrêmement intrigante en comparaison des autres météorites et reflète une origine inconnue, sans doute dans un endroit de l'espace riche en azote(**). Comment et où s'est formé cet objet? En tout cas, dans une région de la nébuleuse solaire pauvre en O, environ 100 millions d'années plus tard que la plupart des autres chondrites ordinaires. Peut-on créer un modèle du corps parent des chondrites E, du noyau à sa surface? La question reste, plus que jamais ouverte.
Et, comme l'a récemment suggéré Russel Kempton(***), si c'était Mercure ???
 
(*) La seconde plus grosse masse d'une enstatite est YILMIA, EL6, 40 kg, trouvée dans le désert Australien en 1969; la seconde plus grosse masse d'une enstatite de type EH est INDARCH, 27 kg, qui chuta près de Baku, Azerbaïdjan, en 1891. Pour anecdote, la plus petite masse d'une enstatite est de...20 mg (!), à savoir YAMATO 8408, EL5, trouvée par une expédition japonaise dans l'Antarctique en 1984. C'est à se demander comment on peut repérer de telles "micro taches" disséminées dans les glaces!)
(**). K. Keil & C.A. Andersen, "Occurrences of sinoite, Si2N20, in meteorites". Nature 207 (1965), p 745
(***) R. Kempton, "Abee, more questions than answers", Meteorite"

  Z. Gabelica & R. Warin